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Chaque mois, un épidémiologiste francophone met en avant un article scientifique de son choix. Sebastien Lambert
Ce mois-ci, Sébastien Lambert, post-doctorant au Royal Veterinary College de Londres, vous propose l'article "Opposite effects of anthelmintic treatment on microbial infection at individual versus population scales" écrit par Ezenwa et al. et publié dans Science en 2015.
Cet article est disponible ici.
Pouvez-vous nous résumer brièvement l’article ?
Les helminthes sont associés à une réceptivité et une sensibilité augmentée aux infections concomitantes par des micro-organismes (par exemple Mycobacterium tuberculosis ou VIH chez l’Homme). Les traitements anthelminthiques pourraient donc permettre de diminuer les conséquences néfastes de ces micro-organismes sur la santé des individus co-infectés. Cependant, les conséquences de tels traitements à l’échelle d’une population ne sont pas connues. Cette étude s’intéresse aux conséquences individuelles et collectives de traitements anthelminthiques sur la dynamique de la tuberculose bovine (Mycobacterium bovis) dans une population de buffle d’Afrique (Syncerus caffer). Deux fois par an pendant quatre ans, 216 femelles divisées en deux groupes (traité et contrôle) ont été suivies. Aucune n’était infectée par M. bovis et les deux groupes étaient similaires en termes d’infestation parasitaire au début de l’étude. Les résultats montrent une absence de différence d’incidence de M. bovis entre les deux groupes, malgré un traitement anthelminthique efficace. En revanche, le groupe traité avait un taux de létalité lié à M. bovis environ neuf fois plus faible, et un nombre de reproduction de base (R0) de M. bovis environ huit fois plus élevé. Les résultats montrent donc un effet positif du traitement au niveau individuel en diminuant la létalité, mais un effet négatif au niveau collectif car les individus infectés qui survivent plus longtemps continuent de transmettre la tuberculose.
Pourquoi avoir choisi de mettre en avant cet article ?
L’article met parfaitement en évidence la possibilité d’obtenir des effets contradictoires à l’échelle individuelle et à l’échelle populationnelle d’interventions médicales, et souligne l’importance d’évaluer leurs conséquences à différentes échelles. A titre d’exemple similaire, dans le cas d’agents infectieux très virulents, la vaccination pourrait aussi avoir un effet positif à titre individuel en diminuant le taux de létalité, mais un effet négatif à l’échelle de la population en permettant le maintien d’un nombre d’animaux sensibles suffisants pour permettre la persistance de l’infection (Lange et al., 2012). J’ai notamment choisi de mettre en avant l’étude d’Ezenwa et Jolles, car elle a le mérite d’avoir obtenu des résultats très marquants sur la base de données empiriques collectées dans une population sauvage naturellement exposée à la fois à M. bovis et aux infestations parasitaires. De plus, ces considérations d’échelle peuvent s’appliquer aussi bien en santé animale qu’en santé humaine. Les résultats de cette étude ont notamment un impact direct sur les traitements anthelminthiques distribués à large échelle, comme cela est de plus en plus pratiqué chez l’Homme par exemple. En effet, de nouvelles études seront nécessaires afin de vérifier si la circulation d’agents infectieux concomitants est aussi exacerbée dans d’autres populations soumises à des traitements anthelminthiques.
Y a-t-il des points abordés dans l’article qui vous ont laissé perplexe ou que vous auriez aimé voir plus développés ?
L’augmentation du R0 dans le groupe traité par rapport au groupe contrôle a été estimée en se basant sur l’impact négligeable du traitement sur la réceptivité à la tuberculose (pas de différence d’incidence entre les deux groupes) et la diminution importante du taux de létalité induite par le traitement. Ce résultat suggère un impact négatif en augmentant la transmission de M. bovis par les animaux traités et donc sa persistance dans la population. Il aurait pu être intéressant de confirmer cette augmentation de la transmission, par exemple en comparant le taux d’incidence de M. bovis chez les individus en contact avec les animaux traités, avec celui de ceux qui ne le sont pas ; ou en comparant le taux d’incidence pendant la période d’étude, avec celui antérieur à tout traitement (en supposant qu’il n’y ait pas eu d’autres sources de variations temporelles).
Merci à Sébastien Lambert
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