Chaque mois, un membre de l’AEEMA met en avant un article scientifique de son choix.
Ce mois-ci, François Moutou, retraité, ancien directeur adjoint du laboratoire de santé animale de l'Anses de Maisons-Alfort, vous propose l’article «Evidence for a limit to human lifespan» écrit par Dong et al. et publié dans Nature en 2016.
Cet article est disponible ici.
Pouvez-vous nous résumer brièvement l’article ?
Dans un article paru en 2016, les auteurs proposent l’idée que la durée maximum d’une vie humaine ne devrait pas dépasser 115 ans environ. La limite serait de nature biologique. Malgré les progrès de la technologie depuis le XIXe siècle, les données actuelles semblent indiquer que depuis les années 1990 la date de décès des personnes les plus âgées connues n’a plus augmenté.
Comme on pouvait s’y attendre, ce texte a généré quelques réactions. Nature du 29 juin 2017 publie pas moins de cinq commentaires, tous assortis d’une réponse individuelle des auteurs de l’article de 2016. Le premier commentaire suggère que l’évidence même d’un âge limite ne tient pas, sachant que la publication initiale souffrirait de problèmes méthodologiques. Le deuxième commentaire suggère que les données utilisées peuvent conduire à de nombreuses autres conclusions. En effet, il semblerait que la méthode utilisée ne permette pas de trancher entre un âge limite (115 ans) et l’hypothèse nulle (pas d’âge limite). Les troisièmes contestataires se posent eux aussi la question de la possibilité de l’existence d’un âge limite. Ces auteurs se fondent sur des arguments statistiques et prennent comme modèle l’évolution des performances sportives (athlétisme). Les quatrièmes vont dans le même sens. L’accroissement de l’âge maximum ralentit mais il n’y aurait pas de raison de penser qu’il va passer à 0. Le dernier commentaire suggère de son côté que l’âge limite pourrait se positionner vers 125 ans.
Pourquoi avoir choisi de mettre en avant cet article ?
L’évolution démographique, la répartition des individus en fonction de leur classe d’âge, de leur sexe, dans leurs populations d’origine, ont un impact reconnu sur un certain nombre de risques sanitaires. Même si l’AEEMA s’intéresse en priorité aux espèces animales d’élevage, quelques données issues de l’espèce humaine peuvent intéresser le public de l’association. Pour moi, ces articles font échos à deux textes un peu plus anciens qui m’avaient marqué.
En 2011 Leslie Roberts rappelait que si l’espèce humaine est apparue il y aurait environ 200.000 ans, il a fallu attendre l’an 1800 pour que la population mondiale atteigne le premier milliard d’individus. Le deuxième a été atteint en 1930, le troisième en 1960. Depuis, un milliard supplémentaire s’ajoute tous les 13 ans environ (Roberts (2011) 9 billion ? Science, 333 : 540-543).
En 2012 une publication évoque déjà l'allongement important de la durée de vie de l'espèce humaine dans les pays développés. Les auteurs font remarquer qu'aujourd’hui il y a plus de différence entre les populations de chasseurs-cueilleurs prénéolithiques et les hommes modernes qu'entre les populations sauvages de chimpanzés et ces mêmes chasseurs-cueilleurs. Cela ne fait qu'environ 4 générations que cet allongement a eu lieu, sur les 8.000 qui jalonnent l'histoire d'Homo sapiens (Burger, O., Baudisch, A., Vaupel, J.W. 2012. Human mortality improvement in evolutionary context. Proceedings of the National Academy of Sciences 109 : 18210-18214).
Y a-t-il des points abordés dans l’article qui vous ont laissé perplexe ou que vous auriez aimé voir plus développés ?
Ces chiffres peuvent laisser perplexes, affoler, emballer, mais ne devraient pas laisser indifférent. Les liens associant risques émergents, sanitaires, épidémiques aux structures démographiques des populations cibles sont connus depuis longtemps. Jamais la population humaine n’a atteint ces niveaux, ni une telle hétérogénéité. Les habitats ruraux restent « classiques » mais certains agrégats urbains sont uniques (mégalopoles de plus de 10 millions d’habitants). L’article de Roberts (2011) est illustré par des pyramides des âges de populations de pays du nord et de pays du sud. Les différences sont telles que ces pyramides pourraient provenir de deux espèces zoologiques.
Dans le même temps et dans nos pays, si la durée de vie des animaux de compagnie augmente également un peu, celle des animaux de rente a plutôt tendance à diminuer. Dans ce cas, les raisons sont strictement économiques.
Les premières questions à poser sont plus d’ordre éthique qu’épidémiologique. Dans certains pays l’espérance de vie est encore bien trop faible comparée à celle des pays développés. De vraies inégalités seraient à réduire à ce niveau, en durée et en qualité.
Dans le registre épidémiologique on pourrait imaginer une série d’interrogations. Qui oserait modéliser quelques scénarios d’épidémisation dans certains de ces cas de figure ? Les épidémiologistes travaillent-ils avec les démographes et les urbanistes ? Comment intégrer ces données de longévité dans nos sociétés contemporaines ?
Merci à François Moutou (
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