Chaque mois, un épidémiologiste francophone de l’AEEMA met en avant un article scientifique de son choix.
Ce mois-ci, Natalie Moyen, qui obtenu sa thèse d'université en épidémiologie au Royal Veterinary College à Londres et est maintenant coordinatrice One Health à Mott MacDonald (UK), vous propose l'article "Emergence of fluoroquinolone-resistant Campylobacter jejuni and Campylobacter coli among Australian chickens in the absence of fluoroquinolone use" écrit par Abraham et al. et publié dans le journal Applied and Environmental Microbiology en 2020.
Cet article est disponible ici.
Pouvez-vous nous résumer brièvement l’article ?
Campylobacter jejuni et C. coli sont des causes fréquentes de diarrhées aigües chez l’homme qui se contamine par contact direct ou indirect avec de la viande de poulet, des animaux ou des humains contaminés. Les fluoroquinolones constituent l’un des principaux traitements des formes graves, parfois développées par les personnes fragiles. L’augmentation (dans plusieurs pays hors Australie) du nombre de campylobactérioses humaines, à Campylobacter résistants, ajoutée à une augmentation constante des taux de résistance aux fluoroquinolones chez les souches humaines et animales est source d’inquiétude et est souvent expliquée par l’utilisation importante de fluoroquinolones en élevage. Or, en Australie, les taux de résistance sont relativement faibles et les fluoroquinolones sont interdites en élevage. L’étude présentée dans cet article visait à identifier les souches circulant dans les élevages de volailles australiens, leurs profils de résistance et leurs caractéristiques génétiques. Deux cents échantillons caecaux composites ont été collectés lors d’une étude transversale réalisée en 2016 dans 20 abattoirs du pays (traitant plus de 95% des volailles abattues). Ainsi, 108 C. jejuni et 96 C. coli ont été isolés et bien qu’ayant des profils de résistance différents, la majorité des isolats étaient sensibles à tous les antibiotiques. Les bactéries multirésistantes étaient rares (0.9% et 4.1%, respectivement) et 14.8% de C. jejuni et 5.2% de C. coli étaient résistants aux fluoroquinolones. Les analyses génétiques ont révélé que les souches résistantes provenaient de différents clusters internationaux connus, mais la découverte d’une sous-population de Campylobacter exclusivement résistante aux fluoroquinolones, dont la ciprofloxacine, était inattendue étant donnée l’absence d’utilisation en élevage. Le faible taux de multirésistance laisse à penser que la résistance aux fluoroquinolones ne résulte pas d’une pression de sélection locale, mais plutôt d’une exposition directe ou indirecte à des hommes ou d’autres espèces animales sauvages ou domestiques, porteurs.
Pourquoi avoir choisi de mettre en avant cet article ?
On entend très souvent que l’utilisation excessive d’antibiotiques dans les élevages est une cause importante de l’augmentation des taux de résistance observée dans le monde. Cet article, par contre, décrit une situation où les résistances observées chez les bactéries présentes chez les volailles ne sont probablement pas le résultat de pratiques d’élevage, et présente d’autres hypothèses à explorer. Cependant, pour confirmer ou infirmer l’hypothèse de la contamination des volailles par l’eau, les hommes, ou les animaux sauvages ou domestiques, les études complémentaires ainsi que l’interprétation de leurs résultats et leur transformation en recommandation nécessiteraient la participation de nombreux décisionnaires et acteurs. Cela contribue à souligner l’importance d’une approche multisectorielle de la surveillance de l’antibiorésistance, ainsi qu’une approche qui inclut l’intégralité des filières alimentaires. De plus, cet article utilise diverses techniques d’analyses de laboratoire, depuis la bactériologie classique au séquençage génétique, tout en montrant leur complémentarité ce que je trouve intéressant car cela montre que les nouvelles technologies ne remplacent pas entièrement les méthodes classiques, qui ont de la valeur. Enfin, cet article démontre l’intérêt de connaitre les données d’utilisation des antibiotiques en élevage pour interpréter les résultats de surveillance de l’antibiorésistance.
Y a-t-il des points abordés dans l’article qui vous ont laissé perplexe ou que vous auriez aimé voir plus développés ?
L’hypothèse selon laquelle aucun acteur de la filière aviaire n’utilise de fluoroquinolones n’est pas discutée, ni vérifiée par des tests complémentaires tels que des recherches de traces de fluoroquinolones dans l’alimentation des volailles, et de résidus dans la viande. Il aurait aussi été intéressant de discuter comment ces résultats peuvent être utilisés pour informer la surveillance de la résistance aux fluoroquinolones chez C. jejuni et C. coli, ou à d’autres antibiotiques chez d’autres pathogènes. Enfin, l’utilisation de ces conclusions par les acteurs de la filière aviaire et les services vétérinaires aurait aussi pu être discutée.
Merci à Natalie Moyen (
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