L'étymologie du mot « crise » renvoie au double sens du mot. Crisis, en latin médiéval, signifie manifestation violente, brutale d'une maladie. Mais si on remonte plus en amont dans l'étymologie, on retrouve le grec krisis qui signifie jugement, décision. Même si de nombreuses définitions existent pour les crises, sans consensus toutefois, toutes s’accordent à reconnaitre la notion d’évènement qui perturbe et déséquilibre les mécanismes de gestion existants, et qui nécessite, avec un caractère d’urgence, une réorganisation de ceux-ci, impliquant l’intervention des pouvoirs publics et plaçant l’intérêt collectif au-dessus de l’intérêt particulier. Par ailleurs, l’incertitude (sur l’évolution et les processus enclenchés par le changement) fait également partie des points communs aux différentes définitions existantes de crise. Une crise peut être de divers types : sanitaire (épidémie, toxi-infection alimentaire collective…), politique (crise des gilets jaunes, attentats…), environnementale (inondations, canicules, ouragans, marées noires, Tchernobyl…), économique (choc pétrolier, crise économique de 1929, crise influenza aviaire hautement pathogène…), médiatique (affaire Cahuzac, affaire Benalla, …). Dans le cadre des crises sanitaires, une définition est proposée : « tout accident sanitaire dépassant par son ampleur les modalités de lutte prévues et appliquées, et accompagné d’une forte incertitude ». La gestion des crises sanitaires couvre différents champs, de la prévention à la lutte contre l’incident sanitaire, en passant par la surveillance et la préparation à la lutte. Les modalités de gestion des crises sanitaires peuvent toutefois être variées selon les pays, et évoluent dans le temps. En effet, plusieurs déterminants peuvent influencer la gestion de ces crises : sociologiques, techniques, économiques, politiques, environnementaux…
Les questions de perception et d’acceptabilité sociale renvoient à des attentes très fortes de la part des décideurs, des gestionnaires ou des commanditaires d’études. Ces derniers espèrent en effet pouvoir positionner au mieux leur curseur entre ce qui est possible de mettre en place et ce qui ne l’est pas dans leur gamme de mesures ou de politiques qui peuvent être plus ou moins acceptables par les populations ou certaines catégories d’acteurs. À l’inverse, les chercheurs en sciences sociales se posent très rarement la question de savoir si une situation ou une mesure est acceptable ou non par une population ou des acteurs. Ce n’est que très rarement une entrée choisie sur un terrain de recherche et cela va rester au mieux la question des commanditaires de l’étude. C’est donc une « fausse » bonne question pour les sociologues et on déconseille aux étudiants d’opter pour une telle approche pour commencer une enquête de sciences sociales. En sociologie, le fait de savoir si les acteurs acceptent, acceptent quelque chose ou comment ils l’acceptent, reste donc très peu pertinent car on considère que les acteurs agissent plus par contraintes ou auto-détermination (sociologie durkheimienne) ou dans des contextes d’action complexes et dynamiques sur lesquels ils ont quelques marges de manœuvre (sociologie des organisations, pragmatique ou interactionniste). Le fait de les considérer comme des acteurs sociaux permet d’évacuer la question de l’acceptabilité car ils n’ont pas vraiment la possibilité d’accepter ou non leur situation : ils la vivent, se l’approprient et s’en accommodent tant bien que mal avec différents mécanismes et stratégies. Cet article présente la manière dont les sociologues s’accommodent de cette question de l’acceptabilité des mesures de lutte, notamment dans leur rapport aux commanditaires. Nous nous appuyons pour cela sur l’expérience des travaux et enquêtes menés depuis 10 ans à l’École nationale des services vétérinaires (VetAgro Sup) dans le cadre du Master PAGERS développé en partenariat avec Sciences-Po Lyon. Puis nous abordons comment le contexte sanitaire inédit que nous connaissons depuis plus d’un an bouleverse notre rapport à l’acceptabilité. Nous reviendrons alors sur cette question à partir des instruments d’action publique et des dispositifs de biosécurité pour gouverner le sanitaire.
En 2010, se sont tenus les États généraux du sanitaire associant toutes les parties prenantes, en vue d’améliorer la surveillance, la prévention et la réactivité dans le domaine sanitaire, de consolider et de mutualiser les outils d’analyse de risques, de renforcer les compétences et d’optimiser la gouvernance et le financement. Il s’est agi d’adapter le dispositif sanitaire français, déjà performant, aux exigences des nouveaux enjeux, dans les contextes européen et mondial. Des évolutions sont en cours, prenant notamment en considération certaines recommandations d’une mission d’évaluation et les dispositions de la nouvelle loi européenne de santé animale.
Le maintien d’un statut de pays indemne pour les grandes maladies animales a longtemps été, et est encore, le plus souvent, conditionné par l’abattage des troupeaux contaminés. L’évolution des attentes et exigences sociétales vis-à-vis de la protection et du bien-être des animaux, le coût des politiques d’éradication, les changements profonds des méthodes d’élevage vers plus d’intensification ou au contraire vers l’élevage en plein-air, le développement de méthodes de diagnostic et de caractérisation des agents pathogènes plus rapides et plus fiables et enfin le développement de vaccins plus faciles à administrer en urgence, plus efficaces, permettant de différencier simplement les animaux vaccinés des animaux infectés (DIVA), vont considérablement affecter notre manière de penser la gestion de la santé animale dans un futur proche.
Le plan national d’intervention sanitaire d’urgence (PNISU) en santé animale est l’aboutissement de la révision des plans de gestion de crise dans le domaine de la santé animale initiée à la suite des États Généraux du Sanitaire en 2010. Il vise à définir le cadre national de la préparation et de la réponse sanitaire aux risques que représentent certains dangers sanitaires. Ce nouveau dispositif apporte également des outils opérationnels pour sa déclinaison et son appropriation. La préparation opérationnelle au niveau des services déconcentrés et plus particulièrement au niveau départemental s’exerce dans le cadre de l’Organisation de la Réponse de SEcurité Civile (ORSEC). Le dispositif ORSEC repose sur des dispositions générales définissant une organisation qui est en mesure de s’adapter à tout type d’événement, auxquelles s’ajoutent ici des dispositions spécifiques propres aux épizooties. L’ensemble des acteurs doit se préparer à réagir et mettre en œuvre rapidement des mesures de gestion. Une planification des actions à conduire et des entraînements réguliers maintiennent leur opérationnalité et leur coordination. Ceci doit ainsi permettre de faire face à tout type d’épizootie, voire à d’autres événements sanitaires impactant la santé animale.
Le Conseil national de l'alimentation (CNA) a produit le 7 février 2019, son avis n°83 « Retour d'expérience de la crise du Fipronil ». Cet avis est issu du premier retour d’expérience (retex) conduit par le CNA à la suite de la survenance d’une crise alimentaire d’ampleur nationale. Confié au CNA par saisine interministérielle (ministères chargés de l'environnement, de la consommation, de la santé et de l'agriculture), il a porté sur la crise du Fipronil et a permis d'organiser les débats entre les acteurs (représentants des professionnels, des consommateurs, des experts et des autorités compétentes locales, nationales et européennes) et de déboucher sur des recommandations. Ce premier retex avait pour objectifs communs partagés la résilience, l'amélioration de la communication visant le grand public et la circulation de l’information entre les acteurs en temps de crise. Un groupe de concertation réunissant une quarantaine de structures a permis à chaque groupe d'acteurs (consommateurs, professionnels et autorités) de présenter son propre retex de la crise afin de décrire les actions de gestion et de communication sous sa responsabilité, d'identifier ce qui avait bien fonctionné et les points qui étaient à améliorer. Les débats ont également permis d’identifier les attentes vis-à-vis des autres acteurs, les points forts et les pistes de progrès à l'échelle collective. La synthèse de ces retex ainsi que les auditions conduites ont servi de base à la construction d’une vision partagée de la crise. Cela a permis l’élaboration d'une chronologie de la crise et la formulation de neuf recommandations dont les trois principales ont pour objectif d’améliorer l’existant en termes de gestion et de communication de crise. Le CNA a ainsi proposé de :
- Créer un dispositif permettant la mise en place d’un espace d’échanges regroupant l’ensemble des acteurs pour partager des informations dans le cadre de la communication visant le grand public, associée à la gestion institutionnelle de la crise ;
- Rédiger des lignes directrices permettant de définir la communication pertinente à produire lors d’une crise. Il a été souligné à plusieurs reprises, l’importance de réaliser cet exercice, collectivement et en temps de paix ;
- Désigner un porte-parole unique, légitime de par sa compétence technique, assurant la communication institutionnelle.
Ces trois recommandations sont étroitement liées en ce qu’elles permettent d’assurer une cohérence via le partage d’information et les réflexions communes sur la communication visant le grand public au service de la gestion puis de la sortie de crise.
La tuberculose bovine (bTB) est une maladie causée par Mycobacterium bovis, cryptique et infectant de nombreux hôtes (notamment les bovins et la faune sauvage). Son épidémiologie complexifie la capacité d’éradication de bTB chez les bovins, car il est nécessaire d’éliminer toutes les sources infectieuses majeures de M. bovis. En République d’Irlande (RdI), les risques de transmission depuis les blaireaux (Meles meles), hôte sauvage principal capable de contaminer les bovins, n’ont longtemps été contrôlés que par un abattage massif de cette espèce. Cependant ces mesures restent peu populaires et irréalisables sur le long terme. La vaccination des blaireaux contre l’infection tuberculeuse par du BCG est donc proposée depuis plusieurs années comme une méthode de lutte efficace pour compléter l’abattage, étant donnée la capacité du vaccin à réduire la sévérité des lésions tuberculeuses (et donc l’excrétion de M. bovis) après infection expérimentale, ainsi que l’incidence de bTB chez les blaireaux sauvages. Ces données ont permis l’obtention de l’AMM anglaise pour le BadgerBCG® en 2010 et le déploiement national du BCG Sofia en RdI à la suite d’un test de non-infériorité montrant que la vaccination n’est globalement pas moins efficace que l’abattage à réduire le taux d’infection de bTB chez les bovins. Un suivi épidémiologique accompagne cette vaccination de terrain, afin de mesurer la baisse attendue des taux d’infection par bTB dans les populations de blaireaux qui seront progressivement protégées dans les zones actuellement les plus fortement contaminées. Cette approche vise également à recentrer les efforts sur les risques de transmission inter et intra troupeaux, afin de complètement éliminer ces risques et d’atteindre l’objectif de statut indemne de tuberculose chez les bovins en RdI d’ici à 2030.
L’élevage tient une place primordiale dans l’économie des îles Maurice et Rodrigues et joue un rôle social indéniable. La fièvre aphteuse s’est déclarée à Rodrigues le 7 juillet 2016 et à Maurice, le premier cas a été identifié le 1er août 2016. Le sérotype O a été identifié par sérologie et RT-PCR. Les mesures de lutte décidées par le gouvernement ont consisté en l’abattage sanitaire des animaux présents dans les foyers et une vaccination préventive pour le reste du cheptel. Cette crise a permis la mise en place d’une surveillance sanitaire animale effective du territoire, l’amélioration de la traçabilité animale et un renforcement des contrôles aux frontières. Une analyse coûts/bénéfices a permis de confirmer l’efficacité des mesures prises par le gouvernement.
L’émergence à répétition d’épidémies, d’épizooties, voire de pandémies depuis deux ou trois décennies interroge. Comment peut-on interpréter la succession de ces maladies microbiennes, parfois sévères, toujours imprévues dans leur évolution et dans leur histoire naturelle ? Le champ de la microbiologie s’est considérablement enrichi avec la prise de conscience de l’existence d’une très grande diversité de microorganismes encore inconnus et à découvrir. Ce constat voit s’affronter deux schémas possibles. Dans le premier, le monde sauvage représente un formidable réservoir d’agents pathogènes potentiels et donc doit être à considérer avec prudence. Inversement, l’autre approche consiste à dire que cette biodiversité sauvage est en train de s’effondrer mais que c’est cette disparition qui pourrait représenter la vraie menace pour la santé humaine et celle de ses animaux domestiques. Quels seraient les arguments dans un sens et dans l’autre et quel rôle l’espèce humaine joue-t-elle aujourd’hui dans ce défi du début du XXIe siècle ? La notion d’anthropocène peut-elle aider l’épidémiologie et les épidémiologistes ?