Chaque mois, un membre de l’AEEMA met en avant un article scientifique de son choix.

Ce mois-ci, Timothée Vergne, post-doctorant à l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD), vous propose l’article «Who is spreading avian influenza in the moving duck flock farming network of Indonesia ?» écrit par Henning et al. et publié dans PLoS ONE en 2016.

Cet article est disponible ici.

Pouvez-vous nous résumer brièvement l’article ?

L’influenza aviaire hautement pathogène pose de graves problèmes économiques et de santé publique dans les pays où le virus qui en est responsable est présent, et notamment en Indonésie, où la maladie est enzootique depuis de nombreuses années. La production avicole indonésienne est caractérisée par la production nomadique de canards nourris sur les champs de riz après la récolte. Les auteurs du papier présenté ici ont cherché à évaluer le rôle de ce système de production répandu dans la circulation des virus influenza en Indonésie. En suivant 27 bandes différentes sur une période de 6 mois, ils ont pu montrer qu’au cours d’un cycle, les bandes voyageaient sur plus de 50 km, que 63% des trajets impliquaient le transport conjoint d’au moins deux (voire jusqu’à six) bandes différentes, et qu’aucun des modes de transport (camions, voitures, motos) n’était désinfecté, ni même nettoyé régulièrement, donnant lieu à de très nombreuses possibilités de contacts directs et indirects entre bandes différentes. De plus, la combinaison de l’analyse du réseau des acteurs de la filière avec les paramètres biologiques de dynamique du virus a permis aux auteurs d’estimer le taux de reproduction de base entre 3.07 et 7.31 selon le district d’étude. Les auteurs discutent de l’efficacité de stratégies de prévention et de contrôle et concluent sur l’importance du rôle des hommes et de leurs activités dans les mécanismes de transmission de l’influenza aviaire.

Pourquoi avoir choisi de mettre en avant cet article ?

Il m’a semblé intéressant de mettre en avant cet article pour plusieurs raisons. Tout d’abord, cette étude est basée sur un travail colossal de récolte de données primaires dans des conditions difficiles qui mérite d’être souligné. En effet, la population d’étude est une population nomadique qui ne reste jamais plus de quelques semaines au même endroit et qui échappe le plus souvent aux contrôles des services vétérinaires, ce qui pose de grandes difficultés logistiques pour un suivi à long terme. De plus, la question de recherche est novatrice car, bien que ce système de production nomadique de canards soit très répandu en Asie du sud-est (notamment en Indonésie, Chine, Vietnam et Thaïlande) et que les canards élevés en libre pâture aient été régulièrement identifiés comme des facteurs de risque d’influenza hautement pathogène, très peu d’études empiriques ont été menées pour améliorer la compréhension des mécanismes sous-tendant l’importance des canards nomadiques dans l’épidémiologie de l’influenza. Enfin, au vu de l’actualité épidémiologique française des derniers mois, il est important de se rappeler que, quel que soit l’hémisphère dans lequel on se trouve, les modes de transmission de l’influenza aviaire se ressemblent souvent en impliquant les mouvements d’animaux vivants et les contacts indirects occasionnés par ces mouvements.

Y a-t-il des points abordés dans l’article qui vous ont laissé perplexe ou que vous auriez aimé voir plus développés ?

Les auteurs présentent des estimations du taux de reproduction de base (R0) entre bandes de canards nomadiques en multipliant le taux de contact entre bandes (extrait de l’analyse du réseau de contact) avec le taux de transmission (estimés dans un contexte complètement différent) et la durée de la période infectieuse chez un canard (alors que l’unité utilisée pour l’estimation est la bande de canards). Cette approche me semble trop simplifiée, d’autant que les estimations proposées ne sont associées à aucun intervalle de confiance, rendant l’interprétation des résultats délicate. Ceci est d’autant plus intrigant qu’il est étonnant d’avoir des R0 estimés entre 4 et 7 mais aucun virus détecté dans aucune des bandes associées à l’étude, alors que les animaux ne sont pas vaccinés, que certains animaux (mais seulement 0.6%) sont séropositifs et que le virus est présent dans la zone. Pour estimer le R0 de manière plus exacte, il m’aurait semblé plus judicieux de développer un modèle de transmission en métapopulation pour simuler la diffusion du virus dans le réseau de contact reconstruit par le travail de terrain. Ceci aurait aussi pu permettre de tester et quantifier l’efficacité de différentes stratégies de prévention et de contrôle pour générer et hiérarchiser des recommandations adaptées.

 

Merci à Timothée Vergne ( Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.) pour sa contribution.

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